«2,5 milliards de gens n’ont pas accès à des sanitaires» (article de Libération)

«2,5 milliards de gens n’ont pas accès à des sanitaires» (article de Libération du 16 août 2008)
Cecilia Martinsen, spécialiste des questions d’assainissement :
Recueilli par ANNE-FRANÇOISE HIVERT (à Stockholm)
Les Nations unies ont déclaré 2008 «année internationale de l’assainissement» et, la semaine prochaine, se tiendra à la Semaine mondiale de l’eau, en Suède, où Cecilia Martins est directeur de projet à l’Institut international de l’eau de Stockholm.

Pourquoi avoir choisi le thème de l’assainissement pour cette Semaine mondiale 2008 ?
La crise de l’assainissement est toujours mise de côté lorsqu’on évoque les questions de l’eau ou du développement. Qui veut entendre parler d’urine et d’excréments ? Ce congrès de Stockholm est l’occasion de mettre le sujet en avant, en rassemblant des chercheurs, des responsables d’ONG, des représentants de gouvernements et des donateurs du monde entier.
Quelle est la situation aujourd’hui ?
Dramatique. Environ 5 000 enfants meurent chaque jour dans le monde de maladies (la diarrhée, par exemple) causées par l’absence d’assainissement et une carence d’eau potable. 2,5 milliards d’individus n’ont toujours pas accès à des sanitaires. Pourtant, si nous ne résolvons pas la crise de l’assainissement, nous ne pourrons jamais atteindre les objectifs du millénaire pour le développement (fixés pour 2015 par l’ONU).
C’est-à-dire ?
Prenons l’accès à l’éducation : dans les écoles sans toilettes, les jeunes filles ne viennent plus en cours durant leurs règles, et arrêtent parfois l’école au moment de la puberté. Sans éducation, comment peuvent-elles espérer s’en sortir ? Ce sont d’ailleurs les femmes qui souffrent le plus de cette crise. Ce qui explique peut-être pourquoi on ne l’a toujours pas résolue.
Pourquoi est-ce si peu mobilisateur ?
On discute beaucoup de la question de l’eau, mais pas de l’assainissement. De la même façon que personne ne voulait parler de préservatifs il y a dix ans, personne ne veut parler de pipi ou de caca aujourd’hui. Mais beaucoup d’Occidentaux ont été infectés par le VIH. Le tabou a été brisé. Nous avons beaucoup à apprendre de la lutte contre le sida. Aujourd’hui, aucun politicien n’ose mener une campagne en promettant des toilettes à tout le monde. Pourtant, cette initiative rapporterait gros à n’importe quel gouvernement, en matière de santé et d’économie.
Quels sont les investissements nécessaires ?
Il faut 10 milliards de dollars par an d’ici à 2015 pour atteindre l’objectif du millénaire, qui prévoit de réduire de moitié la population n’ayant pas accès à un système d’assainissement adéquat. Cela ne représente que 1 % des dépenses militaires mondiales, ou l’équivalent du budget annuel consacré par les Européens à l’achat de crème glacée ! Surtout que des études montrent qu’un dollar dépensé dans ce domaine rapporte 7 dollars en retour sur investissement.
Qui peut agir ?
Les donateurs et les organisations, telles que les fondations Gates et Clinton, commencent à s’y intéresser. Un Fonds mondial pour l’assainissement vient d’être créé sous l’égide de l’ONU. Il faut maintenant que l’assainissement devienne une priorité dans les stratégies de développement, au niveau national et international.
Les actions les plus efficaces ?
Les projets menés par les communautés locales. Avant, lorsque nous installions un système d’assainissement, nous nous concentrions sur les questions matérielles, pour observer cinq ans plus tard que les toilettes installées n’avaient jamais été utilisées. Il faut adapter le message en fonction des valeurs accordées par la population locale aux sanitaires. Pour beaucoup, la santé n’est pas l’argument le plus efficace. Il s’agit plutôt d’une question de dignité, de sécurité ou de prestige. C’est ce qu’il faut mettre en avant.
Les objectifs du millénaire seront-ils atteints ?
Dans la situation actuelle, non, et loin de là. Les compétences, les techniques et les moyens financiers existent. Reste à agir.

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