Toilettes de restaurants : un must depuis toujours

Un article gastronomique de Jean-Claude Ribaut paru dans Le Monde du 30/10/09.

Les commodités, entre pittoresque et rusticité
Vue depuis les W-C, la scène gastronomique parisienne reste assez convenue, parfois pittoresque. Au Tokyo Eat, le plasticien Stéphane Maupin a multiplié les petits coins comme autant de lieux d'aisances inspirés du monde entier. C'est au Palais de Tokyo, à Paris (16e arrondissement). Marcel Duchamp, en son temps, avait fait classer parmi les oeuvres d'art, un urinoir appelé Fontaine, visible à la Tate Modern de Londres. Philippe Starck a repris le flambeau. Il fait appel aux dernières nouveautés de l'industrie verrière pour composer d'étranges cosmogonies. Chez Baccarat, dans l'ancien hôtel particulier de Marie-Laure de Noailles, des glaces rouges reflètent à l'infini un lustre de cristal ; au Kong, c'est une boule à facettes qui distribue la lumière. Les frères Costes, eux, avaient fait installer, au défunt Café des Halles, un monument libératoire muni d'un mur fontaine lumineuse qui avait fait scandale.
Fini le temps où l'on traversait la cour pour gagner ces lieux de paix et de méditation, où l'on pouvait satisfaire des besoins, inhérents - faut-il le rappeler - à la condition humaine.
Jacques Manière, chef talentueux et irascible des années 1970 -1980, a chèrement payé d'avoir un jour répondu à deux messieurs comme il faut, qui se plaignaient de l'état des toilettes dans la cour de son premier restaurant à Pantin : "Vous venez ici pour manger ou pour ch... ?" C'étaient deux inspecteurs du Michelin. Il fut banni du Guide rouge à jamais ! Selon une enquête menée auprès de 5 664 adultes dans six pays de l'Union, 74 % des Européens sont irrités par la saleté et les odeurs méphitiques des toilettes des restaurants. La distinction doit cependant être faite entre l'hygiène et l'hygiénisme que Valérie Péan, chercheuse en sciences sociales, définit comme l'idéologie de la tornade blanche, avec ses relents moralistes et identitaires. Les gogues ? Les récits de Maupassant, les contes de Flaubert et les histoires des Goncourt sont pleins de leur fumet rustique, comme les tentures à Versailles, qui, selon saint Simon, servaient aussi à aider la nature. Les cabinets dits "à la turque", conservés jalousement par économie ou passéisme dans quelques bars à vin, comme Le Baron rouge au marché d'Aligre, à Paris (12e), font la joie des touristes - c'est bon signe, la soupe sera bonne, l'aligot parfait -, sauf des Japonais, adeptes du jet d'eau tiède en plus du papier.

Quelques lieux d'aisances sont protégés par l'administration des Monuments historiques, comme les immenses urinoirs de la maison Goumard (ex-Prunier), rue Duphot (1er), qu'appréciait le général de Gaulle en raison de leur taille ; ceux aussi du Train bleu, à la gare de Lyon, ouverts sur les quais. Salvador Dali se plaisait à aller y "pisser en regardant circuler les trains". Jacques Le Divellec a conservé les deux grands urinoirs muraux d'origine lors des travaux d'embellissement de son restaurant. Le luxe véritable est dévolu aux grands hôtels, comme le Plaza Athénée, le Cinq, le Meurice, encore que Paris ignore ce sommet qu'est le beauty parlour américain, boudoir avec miroirs, sièges et coiffeuses pour dames, le temps d'un raccord.

Aucun commentaire: